Jean T.

https://lecturesdereves.wordpress.com/

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24,00
Conseillé par (Libraire)
24 juillet 2016

On pourrait dire qu'il ne se passe presque rien dans ce gros roman se déroulant à New York, dans l'après-11 novembre. Car l'histoire d'amour entre une chinoise d'origine ouïghoure et un vétéran de la guerre d'Irak peut être considérée comme attendue, normale et peut se raconter en peu de pages, même si elle est dramatique.
Mais Atticus Lish se donne la peine de compliquer cette histoire d'amour où Zou Lei est une clandestine sans papiers, employée au black dans une cuisine chinoise, payée peu et traitée comme une moins que rien, et où Brad Skinner est un soldat qui a enchaîné des missions en Irak, connu la violence brutale des combats, la barbarie de la guerre, sérieusement blessé et rendu à la vie civile avec ses effets et son arme, et surtout avec des traumatismes que ne calment pas les barbituriques et neuroleptiques que l'armée continue de lui livrer. L'amour qui attache ces deux êtres est bien réel, si fort qu'il pourrait dépasser et transcender leurs situations. Qu'il pourrait...
Autour de cette histoire, il y a ce qu'Atticus Lish nous décrit d'une Amérique des petites gens, des pauvres, des exploités, des travailleurs de l'ombre sous-payés, des clandestins, des immigrés. Tout un peuple qui traîne souvent dans les rues et donne au quartier de Queens, l'image d'une ville surpeuplée, grouillante, trop petite pour le nombre de ses habitants.
L'Amérique qu'il nous décrit méticuleusement, par le détail est tout sauf la grande et puissante Amérique. D'ailleurs, ce que ses deux héros croisent au fil de leurs déambulations n'est que l'Amérique des pauvres, l'Amérique des ignorés, celle des oubliés du capitalisme. Celle qui constitue le terreau qui fait vivre les couches supérieures de la société, invisibles dans ce roman.
Ce que vivent Zou Lei et Brad Skinner est beau et triste. Leur attachement est marqué par la grande violence qu'ils ont subi en quittant son pays pour elle, à la guerre et dans son logement en sous-sol pour lui. Sous cet angle, leur histoire dénonce le fonctionnement de nos sociétés cloisonnées, brutales, inhospitalières, et de l'Amérique en particulier. Ce roman écrit avec une précision d'entomologiste est un livre politique.
Tout ceci est servi par une écriture puissante, poétique et précise qui en fait un roman émouvant et attristant. Une grande lecture nécessaire pour revenir à la réalité, si tant est que l'Amérique nous a fait rêver d'un monde meilleur.
Excellent premier roman.

Conseillé par (Libraire)
17 juillet 2016

En fermant le livre, j'ai trouvé que la fin était un peu facile, où Raul Engales passe sa nuit à peindre des toiles avec Julian, le jeune fils de sa sœur Franca sans doute disparue à Buenos-Aires, dont il ignorait l'existence quelques jours plus tôt.
Et puis, il se trouve que les personnages, les descriptions, l'intrigue qui ont continué à habiter ma mémoire alors que, s'il elle n'avait pas été bonne, j'aurais oublié cette histoire…
C'est donc que l'impression immédiate n'était pas la bonne. Je dois d'ailleurs à la vérité de dire que je n'ai pas lâché le livre, que je l'ai lu en entier sans sauter la moindre phrase. Car Molly Prentiss a écrit un livre d'images, une histoire d'art et d'artistes qui se passe dans Manhattan Downtown, au sud, de la ville de New York. On imagine bien le quartier avec les ateliers, l'inévitable squatt (où l'on croise Keith Harring et Jean-Michel Basquiat, et où le peintre sera accidentellement amputé), les artistes inspirés, les personnages décalés ou déjantés. Mais quand elle décrit Raul Engales, le peintre argentin qui a fuit la dictature de Perón en abandonnant sa sœur, on voit ce qu'il peint, on voit la toile, on voit le jaune de Lucy son amoureuse et sa muse. On le voit, scrutant les personnes qui attirent son regard dans les nuits, avant de les peindre ensuite de mémoire. De même quand elle met en scène James Bennett, critique d'art au Times, qui "sanglote" en découvrant dans une vente l'immense toile irradiant le jaune d'une jeune femme croisée dans la rue, James qui "baigne" dans le rouge de Marge, la femme qu'il aime, qui exprime dans des couleurs ses sentiments et de ses émotions.
Entre Engales et Bennett, il y a Lucie, une jeune femme blonde, serveuse dans un bar trouble, originaire d'une banlieue d'Idaho. Engales la remarque, l'emmène chez lui et la peint. Bennett la croise plus tard et en tombe raide amoureux ainsi que de l'immense toile d'Engales. Lucy qui les rend dingues en même temps qu'elle essaie de prendre soin d'eux, de les extraire de ce qui les hante.
Dans la galerie des personnages, on n'oubliera pas Winona George, la galériste extravertie, faiseuse de réputation, celle pour qui l'art est aussi et surtout de l'argent.
Alors, au bout du compte, il fallait cette fin pour que le roman sur l'art et d'amour ne soit pas qu'un drame, cette fin où la peinture se féconde des cauchemars et du malheur, en triomphe, transfigurant la vie.
Un très beau roman, envoûtant, visuel -bien sûr- d'une rare originalité. Premier roman d'une auteure à ne pas oublier.

Conseillé par (Libraire)
14 juillet 2016

Roscoë T. Martin, un électricien passionné par son métier et cette technique, a suivi Marie dans la ferme qu'elle a hérité de son père, dans l'Alabama. La situation est difficile. En 1920, l'électricité n'arrive pas encore dans les fermes. Roscoë a l'idée de la détourner. Quand l'Alabama Power découvre la fraude, elle envoie un ouvrier qui, accidentellement, meurt électrocuté. Roscoë est déclaré coupable et condamné à vingt ans de prison. Il est envoyé dans un établissement modèle, équipé d'une ferme, d'une laiterie, d'un chenil, d'une bibliothèque. Il devient l'obligé du sous-directeur qui l'affecte aux soins des chiens dressés pour pister les prisonniers qui tentent de s'évader. Un boulot pas bien vu des autres détenus. Comme il est plus instruit que la moyenne, il va régulièrement aider le bibliothécaire, ce qui fait des jaloux.
Pour construire la ligne électrique, Roscoë s'était fait aider par Wilson, le commis de la ferme, qui a été jugé complice et condamné. Parce qu'il est noir, il a été vendu à une exploitation minière.
Tout au long de ces années de prison, Roscoë espère recevoir la visite de son épouse et de son fils. En vain. Libéré au bout de neuf années, il revient à la ferme où il ne retrouve ni Marie, ni son fils. Il est accueilli par Wilson et son épouse qui décident de lui venir en aide.
La prison a été dure pour Roscoë dont le statut suscite la haine de certains détenus. L'un d'eux le blesse très grièvement. Il subit la hargne d'un gardien qui l'estropie qui l'estropie d'un coup de matraque sur l'épaule. Pour survivre et revoir sa famille, Roscoë accepte de subir ces sévices et de faire ce qu'on lui demande. L'amour qu'il porte à Marie, la confiance qu'il lui accorde l'aident à survivre et fondent l'espoir de les retrouver.
Hélas, à sa sortie, la situation s'est inversée. Le commis habite la maison des maîtres et possède la terre. Comme ce sont des gens bons et droits, ils aideront à sa réinsertion.

un roman réaliste, qui n'hésite pas à décrire crûment les situations, à dire où est le bien et le mal, la barbarie, la justice, la droiture, la bonté. Roscoë, qu'on peut trouver pleutre et soumis, est une belle personne à la forte personnalité. Ce qui lui arrive est dramatique et les sévices qu'il subit sont injustes. C'est ce qui donne toute l'intensité à la lecture de ce roman attachant. qui se déroule dans une Amérique lointaine et pourtant encore actuelle. Dans ce texte, on vérifiera que le progrès technique et les prisons modèles sont des leurres quand les hommes ne changent pas.
Un premier roman à lire et à garder en mémoire

Conseillé par (Libraire)
10 juillet 2016

Au milieu des années 1950, Mathilde est encore une enfant quand son père atteint de tuberculose est hospitalisé au sanatorium d'Aincourt. Plus tard, sa mère le rejoint. Ils tenaient un café qui était le centre de la vie locale de la Roche-Guyon dans les Boucles de Seine. On est au milieu des Trente Glorieuses, mais les cafetiers, qui ne sont pas des salariés, ne sont pas couverts par la Sécurité sociale. Parce qu'ils tardent à se faire soigner, ils ne pourront pas profiter des bienfaits de la pénicilline. Le couple est ruiné et les enfants, sauf l'aînée qui est majeure, sont placés dans des familles d'accueil par des assistantes sociales. Mathilde, garçon manqué ne supporte pas le placements et obtient de ses parents d'être émancipée. Elle devient le pivot d'une famille où l'on s'aime et que tout tend à détruire : la tuberculose, le sanatorium, le dénuement, le travail et le logement qui disparaissent, les services sociaux. À l'époque où ses parents sont hospitalisés, Mathilde est devenue une adolescente rebelle et déterminée. Elle refuse la dislocation de la famille et est prête à se priver de tout pour maintenir son unité, pour que l'amour ne disparaisse pas, qui unit Paul Blanc à Odile. Sa volonté et son abnégation ne seront pas anéanties par les obstacles, les combats à mener, les difficultés de la vie quotidienne. Elle sera soutenue par des rencontres précieuses, imprévisibles, qui lui permettront de continuer à trouver des solutions. Ce sont des gens généreux : Jeanne, une fille de son âge peu dégourdie, Walid le marocaine qui la transporte au sanatorium, les voisins boulangers Léon et Nadette, et surtout cette merveilleuse directrice de lycée qu l'accueille, la guide, la protège et ouvre son intelligence à un monde plus large et à l'actualité de la guerre d'Algérie, guerre qui évoque à Mathilde la liberté et l'indépendance.

Ce récit, inspiré d'un témoignage, est parfois terriblement triste et éprouvant. Mais c'est surtout une belle histoire d'amour, de détermination, de résistance. Il est difficile de lâcher ce livre qu'on ne peut lire sans être profondément ému par cette famille qui, parce qu'elle est pauvre et imprévoyante, se retrouve démunie face à la tuberculose, et qui reste unie quand tout se ligue pour la désintégrer.
Un grand roman.

Une enquête à Pacific View

J'ai Lu

Conseillé par (Libraire)
29 juin 2016

Dans un lycée, une adolescente a été sauvagement assassinée. Dans les premières pages, on est tenté de croire que l'intrigue va être simple. Ce n'est pas le cas et on ne va pas s'ennuyer dans ce thriller à plusieurs énigmes. A chaque rebondissement, on ne sait à quoi s'attendre. Si on adhère à l'idée que le crime est l'œuvre d'un tueur en série, il faudra vite réviser sa théorie et admettre qu'Alexis Aubenque nous a embarqué et qu'il nous emmènera là où il a décidé. Le dénouement sera totalement inattendu.
On aura donc quelques sueurs froides, des indices qui nous mettent dans l'erreur, quelques visions d'horreur. On rencontrera des personnages forts, très différents les uns des autres, généralement intéressants par leur personnalité, leurs idées, leurs façons de vivre, le passé qui hante leurs nuits. Au centre de l'histoire, le meurtre d'une lycéenne est le prétexte à nous rappeler que les adolescents peuvent avoir une autre vie que celle qu'ils laissent voir aux adultes, qu'ils ont leur monde avec leurs codes et que les réseaux sociaux qu'ils habitent ne sont pas toujours marqués par la bienveillance et la bonté d'âme. Le regard sans concession que porte Aubenque sur le côté sombre du monde n'est pas si éloigné de la réalité...
Ceux qui ont déjà lu des romans de l'auteur seront ravis de retrouver Gregory davis et sa collègue Veronica Bloom, Jessica Hurley la profileuse, Ryan Bonfire et Faye Sheridan l'opiniâtre journaliste et quelques autres. Les lecteurs qui le découvrent pourront ressentir une légère gêne qui ne nuira pas à leur lecture et ne gâchera pas leur plaisir.
Un roman très addictif, qu'on voudra lire vite en s'inquiétant de ce qui va arriver aux personnages.