Jean T.

https://lecturesdereves.wordpress.com/

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Conseillé par (Libraire)
13 octobre 2016

Dans un théâtre de Toronto, l'acteur qui joue le roi Lear s'effondre sur la scène, terrassé par une crise cardiaque.
Au même moment, dans un hôpital de la ville, une épidémie foudroyante se déclare qui va faire disparaître 99% de la population mondiale.
Il n'y a pas de lien entre la mort du comédien Arthur Leander et la survenue de la grippe de Géorgie. Mais dans l'histoire qui se déroule vingt ans après la catastrophe, on rencontrera des personnes qu'il a côtoyé : ses épouses, son fils Tyler, Clark, son fidèle ami de toujours, le paparazzi Jeevan Chaudhary qui est monté sur la scène pour tenter de ranimer l'acteur, et Kristen Raymonde, qui, une fille, était figurante dans le roi lear. On découvrira leur histoire. Et le roman graphique de Miranda, l'une de ses épouses, qui se passe dans une station spatiale qui donne le titre à ce livre. On verra que chacun des personnages, en plus de son lien avec Arthur Leander, a une importance dans la vie de chacun des autres. On suivra peut-être plus particulièrement Kristen, qui joue avec passion des pièces de Shakespeare dans une troupe musicale, la Symphonie Itinérante. Sur leur caravane, on a écrit ces mots : "parce que survivre ne suffit pas".
Parce que dans ce monde d'après l'apocalypse, que reste-t-il ?
Il n'y a plus d'électricité, plus d'essence, plus d'Internet. Les voitures sont abandonnées sur les routes, les maisons se dégradent et ont été pillées, les routes s'effacent sous la végétation, les avions sont cloués au sol. Il reste pour les plus vieux, la mémoire du monde d'avant. Il reste surtout le théâtre, l'art, la musique, l'amitié. Et quand la troupe arrive dans un village, parfois, l'hospitalité. Il reste des hommes et des femmes, généralement démunis, qui sont l'humanité.
Ce récit nous fait prendre la mesure d'une catastrophe qui nous priverait de toute la technologie dont nous dépendons, qui ferait que la nuit, les villes du monde monde seraient dans le noir.
L'auteure nous ballade d'un personnage à l'autre, dans l'avant et l'après de son histoire, dans leurs rencontres et même dans leurs non-rencontres. Avec une écriture fine, elle met en scène des personnages qui nous ressemblent, des gens normaux que la catastrophe n'a pas rendu fous, des personnages qui survient et essaient de vivre. Leur vie est dure, mais sans violence outrancière. Il y a place au beau, à l'amitié, à la fidélité, à l'amour, à la solidarité, et à l'art qui donne un sens à cette vie.
Le roman est excellent, touchant. Il ne nous laisse ni apeuré, ni effrayé. Il nous fait réfléchir à notre facile dépendance. Il ne ruine pas l'espoir d'un monde qui éviterait la catastrophe. Il nous pousse à ressentir combien le présent est précieux. Une réussite.

Conseillé par (Libraire)
1 octobre 2016

Une femme dont on ne connaîtra jamais l'identité se retire dans un refuge technologiquement évolué et bien équipé, accroché en pleine montagne. Elle est en pleine possession de ses moyens intellectuels, psychiques et physiques. Elle a décidé de fuir le monde pour ne pas risquer, "chaque matin, de rencontrer un ingrat, un envieux, un imbécile." Elle s'organise sur "son massif montagneux de vingt-trois kilomètres carrés" pour un séjour de longue durée, construisant et cultivant un jardin, pêchant dans un étang à truites, repérant les animaux. Elle arpente la montagne, équipe des voies pour mieux se déplacer. Ce faisant, elle se concentre sur ses gestes, elle s'entraîne à résister à la faim et à la fatigue, à contempler et à s'émerveiller. Dans sa montagne minérale, elle abandonne peu-à-peu ses habitudes de vie en société. Et elle s'interroge : "Tout retranchement est-il une fuite plus ou moins assumée du risque que comporte toute relation humaine ?" "Peut-on se surprendre soi-même ?" "Peut-on réellement jouer seul aux échecs ? [...] Peut-on s'oublier au point de s'accueillir ? " "Est-ce qu'on peut être immortel à l'intérieur d'une durée finie ?" "Peut-on se porter secours à soi-même ?" "Peut-on agir envers soi comme envers un étranger ?" "Comment pourrait-il accueillir le monde celui que ne se mise pas lui-même ?"
Mais alors qu'elle semble s'être détachée du monde, incorporée à la montage, alors qu'elle atteint à sa propre forme, "la forme particulière de sa présence au monde» et qu'elle est proche de la "la paix de l'âme", elle décèle une présence de quelqu'un de différent d'elle tout en lui étant semblable, de quelqu'un qui empiète sur son territoire, qui pénètre dans sa cabane à outils, qui lui emprunte ses outils. Elle s'en irrite tout en espérant la croiser. Il y a donc quelqu'un qui vivait avant elle -mais pas comme elle- dans cet zone de désert. Est-elle un adversaire ? Ou va-t-elle devenir une partenaire de jeu ?

Après une première partie plus tournée vers l'introspection, la deuxième partie ménage le suspense quant à l'avenir et la nature de la rencontre de ces deux personnes. L'auteure évite ainsi un remake de Premier de cordée ou de Femmes au sommet. Certes, on comprend que Céline Minard aime les sports d'escalade et la slackline, qu'elle décrit avec avec un vocabulaire précis, un style austère et acéré bien en accord avec la haute montagne. Son texte est ponctué d'interrogations qui manifestent un goût pour la réflexion, la recherche de sens. Avec ce roman, elle offre au lecteur de mener la même réflexion, sans faire l'expérience de la montagne autrement que par le contact du texte et par la pensée.
J'ai bien conscience que ce roman est particulier et qu'il faudra passer au-delà des descriptions techniques pour l'apprécier. Je ne relis presque jamais de romans, celui-ci, je sais que je le relirai pendant l'hiver. C'est assez dire combien je l'ai aimé...

Conseillé par (Libraire)
27 septembre 2016

De courts chapitres racontent la vie de trois personnages sur une petite île grecque où tous les gens se connaissent et vivent dans une proximité harmonieuse.
Yannis est un jeune garçon à l'apparence sauvage, qui possède une étonnante faculté à mémoriser et à manier les chiffres. Il mène des rituels compliqués qui ont pour objet de conserver l'ordre du monde. Maraki, sa mère, a une barque et va chaque jour à la pêche à la palangre. Elle élève seule son fils. Elliot, son voisin, est un architecte qui a fait sa vie au États-Unis et qui revient dans son pays après la mort accidentelle de sa fille, dont il découvre qu'elle était très attachée à cette île. Il mène des recherches sur le nombre d'Or et sur les nombreux sites archéologiques grecs. Il consulte le père Kosmas qui est pope et s'inspire de ses précieux conseils.
Voisin de Maraki, Elliot va lui rendre le service de s'occuper un peu de son fils, puis va s'y attacher peu à peu, lui racontant des histoires mythologiques qui vont contribuer à l'épanouissement du garçon.
L'île est touchée par la crise grecque. Alors, quand arrive un promoteur qui propose de construire un grand complexe hôtelier dans la plus belle crique de l'île, les habitants sont séduits et conquis. Sauf quelques-uns comme Kosmas et Elliot qui fait connaître une idée de sa fille, de construire une école philosophique à l'ancienne qui accueillerait des étudiants du monde entier. Une journaliste, Théofani, introduit le doute en publiant des informations sur des pratiques douteuses du promoteur.
Alors, que vont faire les habitants de l'île ? Céder aux sirènes de la richesse et de la vie facile en acceptant la construction d'un hôtel qui défigurera définitivement l'île ? Ou refuser l'indignité de la richesse qui corrompt en préférant l'école pour se réinscrire dans l'histoire grandiose de leur pays et retrouver ainsi l'honneur et la fierté ?
Et qu'en serait-il de l'harmonie de l'île, du respect affectueux qui entoure Yannis ? Sans qu'il soit jamais désigné comme autiste, on comprend vite ce qui rend le garçon différent et on s'attache à comprendre comment les relations respectueuses et chaleureuses des habitants et d'Elliot jouent un rôle déterminant dans l'épanouissement du garçon et de son génie.
Une très belle écriture pour un livre qui aborde avec pudeur le thème de la différence, de la dignité, de l'amitié, de la vie modeste et de la beauté du paysage, qui affirme la grandeur de la démocratie et qui montre que la Grèce n'est pas qu'une économie, qu'elle est aussi un pays d'hommes à la recherche de paix, d'harmonie et d'une vie qui fasse sens.

23,00
Conseillé par (Libraire)
25 septembre 2016

Sur une impression, un ressenti, le journaliste Marc Rappaport décide de reprendre une enquête non élucidée. En 1984, une jeune étudiante devenue escort-girl a été sauvagement assassinée à Paris. Vingt-sept ans plus tard, un homme dont la vie est sans histoire est arrêté, son ADN correspondant à celui trouvé sur la scène du crime.
Patiemment, avec entêtement, il progresse dans son enquête et découvre un drame sanitaire soigneusement caché. Un usine chimique utilisait sciemment un produit cancérigène et mutagène qui a provoqué la mort d'une quarantaine d'ouvriers. Il découvre aussi l'impuissance du maire à conserver l'usine dans sa ville lorsqu'il a voulu qu'elle reconnaisse sa responsabilité. Il va plus loin cherchant à savoir qui était la jeune fille ? Pourquoi s'adonnait-elle à la prostitution ? Quel client pouvait se montrer aussi brutal et pourquoi ?
Un problème très actuel, en fait. Comme l'est celui de la corruption de certains politiques, le silence obligé de quelques personnes honnêtes, la prééminence des profits à engranger sur la santé des travailleurs. Car les puissants sont insatiables et certains d'être intouchables.
Il se trouve que Marc Rappaport appartient à une vieille famille industrielle, très puissante. Il a été le préféré de son grand-père, alors qu'il ne joue pas le jeu de la famille. Le journaliste connaît donc bien le monde des grands industriels. Son histoire n'est pas totalement étrangère à celle de ceux qu'il croise dans son enquête.
Et il est très amoureux de Déborah, sa compagne, qui trouve que son travail est beaucoup trop prenant, ce qui l'inquiète.
De nombreux détails rendent le roman très réaliste. On ne manquera pas, par exemple, de s'attarder à la scène où le journaliste consulte, à la direction de l'Environnement, des comptes-rendus des contrôles de sécurité menés dans une entreprise. Un fragment de la bureaucratie française y est tourné en dérision. Mais la scène est glaçante et effrayante...
Même si le roman utilise quelques clichés, il dresse une fresque plausible de la société actuelle, le lecteur ne pourra d'ailleurs pas s'empêcher de faire quelques rapprochements avec l'actualité. Il montre le déphasage existant entre l'élite trop puissante et une population qui subit et à laquelle manquent les moyens nécessaires à la dénonciation des violences qu'elle subit.
En filant une triple trame, familiale, sociale et politique, Gila Lustiger nous livre un roman noir, réaliste et lucide. Au travers de l'enquête têtue du journaliste, elle nous fournit un prisme pour jeter un regard renouvelé sur notre société.
Une réussite.

Conseillé par (Libraire)
14 septembre 2016

Grandiose

Le roman de Luc Lang se présente comme une trilogie.
La famille de Thomas vit à Saint-Mandé et ce soir, une fois de plus, son épouse Camille délaisse la famille et reste au Havre où elle travaille sur un gros dossier dans une société de téléphonie-informatique. Dans la nuit, la gendarmerie réveille Thomas pour lui apprendre que Camille est hospitalisée, gravement atteinte lors d'un accident sur une petite route en Normandie.
C'est le début de l'effondrement de la vie qu'il s'est construit, une vie de concepteur dans une société fabriquant des logiciels permettant de tracer des personnes, de mesurer leur travail et leurs pauses inactives et improductives. C'est une vie réussie selon les critères contemporains : une épouse jolie et intelligente exerçant un bon métier, des enfants -garçon et fille, une belle maison, des belles voitures, des amis, les moyens de voyager. Dès l'accident de Camille, la vie de Thomas est moins facile et stable. Il faut s'occuper de tout le quotidien, prévoir, être présent aux enfants, visiter son épouse à l'hôpital. Savoir ce qu'elle pourquoi elle se trouvait sur cette route à cette heure alors qu'elle devait dormir chez un collègue de travail est un sujet de grave préoccupation. Il doit aussi être performant au travail. Quand on a un patron pas très sentimental, intéressé uniquement par "faire de l'argent", on voit comment tout ceci peut se terminer...

Quand le livre 2 commence, on comprend que Camille est décédée et que Thomas a perdu son emploi. Il se trouve dans les Pyrénées, à Lescun où son frère Jean a repris l'élevage de son père. Thomas a décidé de faire une randonnée. Sans écouter les conseils des locaux, il emprunte, par mauvais temps, le périlleux passage d'Orteig où il manque de chuter et perd son sac. Ses pensées le mènent vers les débuts de sa randonnée, vers sa famille, vers ce qui le taraude, vers ses doutes, ce qu'il connaît mal de sa propre histoire.
Plus tard, dans le livre 3, il est parti au Cameroun retrouver sa sœur Pauline qui est médecin humanitaire. Depuis qu'elle y est installée, Thomas n'a pas correspondu avec elle. Il découvre son engagement, la pauvreté, la corruption, la prison, le danger que représente la proximité des islamistes, l'instabilité politique, le jeu des apparences. Un choc, une remise en cause totale.

Dans le livre 3, les Pyrénées sont présentées comme un lieu puissant, résistant, capable de colère et de pousser l'homme à penser, à réfléchir, à chercher une solution à ses tracas. Il y a une confrontation entre Thomas et la montagne. Dans ces paysages superbement décrits , on commence à deviner, puis on découvre le secret de cette famille. Pourquoi Jean n'a pas suivi le chemin que lui ouvrait sa formation professionnelle ? Qu'a fui Pauline en partant au Cameroun ? Pourquoi n'est-elle restée en relation qu'avec Jean ? Que s'est-il passé avec Aurèle, le père, et comment est-il mort ? Comment, pourquoi et de quoi Jean et Pauline protègent leur frère ? C'est auprès de Pauline que Thomas, libéré de ce secret qui obscurcissait sa vie, finira par la reconsidérer, par trouver une raison de vivre autre que l'avoir et le contrôle. Enfin comme dans le livre de la Genèse au septième jour, le repos, le calme, la paix...

On ne manquera pas dans ce roman d'une vie "réussie" qui se délite, les moments où Luc Lang critique notre monde complexe, où les hommes sont avides de posséder plus, n'ont plus le temps de se poser et de réfléchir au sens de leurs actes, où la technique prend le pas sur l'humain.
Autour de Lescun, le Pic d'Anie, les Arres de Camplong, le pas de l'Osque, les alentours de l'Ossau... ces endroits que le randonneur du GR10 connaît, sont des endroits splendides. Luc Lang doit beaucoup les aimer pour en faire une description aussi précise et somptueuse.
Outre qu'il fait voyager, ce livre nous plonge dans la transformation d'un homme qui aurait pu se laisser végéter après la mort de son épouse, mais qui décide d'aller au-devant de ce qu'il comprend le moins et qui lui est difficile, d'aller à la rencontre de sa sœur Pauline, une humanitaire, l'envers de son ambition première... Ce voyage en Afrique noire et la découverte du pays sont fascinants. A chaque page on craint le pire alors que le meilleur arrive.

538 pages sans un blanc, sans un moment de repos. Une quête individuelle qui accroche le lecteur et l'impressionne, certainement parce qu'elle nous concerne tous. Une écriture superbe et d'une rare précision.
Un roman grandiose à ne pas manquer. Une des belles réussites de cette rentrée littéraire.