Jean T.

https://lecturesdereves.wordpress.com/

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Conseillé par (Libraire)
5 février 2018

Nous sommes en Biélorussie dans les années 1990. La narratrice dit que "ma mère dit que j’ai appris à nager avant d’apprendre à marcher", "dans l’eau je me sens en confiance". À Minsk, les hommes qui l’entourent sont majoritairement atteints de dipsomanie. Est-ce pour fuir l’alcoolisme que son père s’est embarqué sur un voilier avec deux marins ? En Turquie, le voilier est ancré dans une crique. La tempête fait rage. Les hommes décident de gagner la rive à la nage alors que le bateau se disloque. "On retrouvera des parties lourdes dans les profondeurs, l’eau est transparente, des parties légères sont rejetées sur la sable". Les deux marins sont sauvés. "Mon père n’est ni sur le sable, ni en profondeur", "il a disparu la nuit du 7 novembre 1995". La narratrice était alors âgée de onze ans.
Des années plus tard, elle tente de recomposer cette époque. Ses souvenirs sont disparates, morcelés, incomplets. Elle en scrute chaque détail pour tenter de savoir ce qu’est devenu son père avec qui elle n’a pas "eu de dernière rencontre". Elle raconte l’impossibilité de faire le deuil de ce père disparu dont elle ne se résout pas à décider s’il est mort où s’il se cache quelque part et qu’il pourrait réapparaître. Comment peut-elle se dire "l’indicible" ? Pour elle, "cette mort n’a jamais été vraie".
Elle revisite son histoire, mélangeant des souvenirs réels et imaginaires. Elle construit à son père un autre destin qui soit plus soutenable, qui lui permette de continuer à vivre debout, et aussi qui dise combien ce père était un homme unique, qui "n’arrivait pas à vivre comme les autres hommes".
Ce premier roman est une autobiographie inspirée de la disparition tragique du père d’Aliona Gloukhova. C’est un roman très juste sur le deuil impossible, le souvenir du père, écrit avec un joli talent littéraire.

Conseillé par (Libraire)
1 février 2018

Ce roman commence par plusieurs pages d’un catalogue relatant l’actualité de la fin du 20e siècle et du début du 21e, définissant la génération de la narratrice : « Je suis de la génération qui ne peut accueillir toute la misère du monde » … « qui vivra plus mal que ses parents »… C’est plutôt désespérant !

Son ami de toujours et pour toujours, Mad, d’origine malienne, la supplie de l’épouser parce qu’il veut rester en France, devenir Français. Va donc pour un mariage blanc.
Les chapitres se suivent, alternant l’enfance et l’adolescence et le présent de la préparation de ce mariage. Alice -le personnage, pas l’auteure, même si elle porte le même prénom et a le même âge- revit ainsi tout son passé avec sa famille, son Papamaman, leurs bagarres, leurs longues discussions, leurs révoltes, leurs engagements, leurs découvertes du racisme lorsqu’elle entend le mot « bougnoule » qu’elle rapporte à la maison.
Au milieu de nombreux récits de ce genre, le roman trouve son originalité dans le regard affûté que l’héroïne pose sur le monde qu’elle découvre, qu’elle tente de comprendre et qu’avec Mad et son amie l’Arabesque, elle veut changer.

La belle et rebelle écriture d’Alice Zeniter s’habille de divers styles. l’histoire s’inscrit dans un temps bien délimité par de nombreuses références à l’actualité. L’auteure raconte comment la Grande Histoire du Racisme se distille dans la banale histoire du racisme ordinaire, quotidien.
La demande en mariage de Mad et le « oui, oui, oui » d’Alice sont une recherche d’identité. Elle a vécu une période de « quête d’algérisation » mais elle est Française et elle offre sa nationalité à son ami. Plus que le don d’une identité, c’est un enracinement qui se crée de par leur volonté affirmée. On est bien loin du droit du sang…
Dans ce roman, Alice est une jeune fille débordante de vie, souvent loufoque, joyeuse et, en même temps, grave et consciente de ses actes et de l’état de la société. L’écriture d’Alice Zeniter est à son image, impatiente, rapide, échevelée, fine, très fine. Le roman est plein de bons sentiments et de rage à peine contenue tant est grand l’offense raciste. Certains détesteront, d’autres -comme moi- aimeront beaucoup et se réjouiront de cette lecture !

« Jusque dans nos bras » évoque un fragment d’un couplet de la Marseillaise : « Ils viennent jusque dans nos bras / égorger nos fils et nos compagnes ». Faut-il les craindre au point de fermer nos frontières ?

18,50
Conseillé par (Libraire)
29 janvier 2018

Ce quatrième roman de Frédéric Ciriez ne contient quasiment que deux personnages que nous présente un narrateur non identifié. Il y a Stéphane Van Hamme, un critique littéraire qui signe Stéphane Sorge. « Ses détracteurs l’appellent SS ; ses amis Super Style ». Son hebdomadaire favori est « Détective ». Il a acquis une certaine notoriété en collaborant au Monde des livres, en tenant des chroniques à la radio et à la télévision. Ses piges lui procurent une vie correcte et une tranquille sécurité, jusqu’au jour où sa critique d’un auteur très connu, Marc Danielewski, est jugée mauvaise. On l’accuse de n’avoir pas lu le livre…
Et il y a Betty Leroy qui, sur BettieBook, sa chaîne Youtube, parle des livres qu’elle lit, exclusivement des « dystopies qui se terminent mal ». Elle travaille à temps partiel dans un petit solarium, comme « technicienne bronzage ». C’est une jolie brune de 22 ans, narcissique, ambitieuse, sérieuse dans son activité de booktubeuse.
C’est pour les besoins d’un article sur les booktubeuses que Stéphane Sorge la rencontre. Une rencontre qui aurait pu être sans lendemain, Betty ne lisant pas le Monde des livres au prétexte qu’elle « habite le nouveau monde des livres, pas l’ancien où [il] travaille ». Mais cette fille le fascine. Il s’abonne à sa chaîne Youtube, la revoit souvent. Il remarque que son audience croît alors que ses revenus diminuent, ce qui l’intrigue. Il lui propose d’être « invitée VIP à la prochaine convention de littérature dystopique à Los Angelès ». Elle est touchée. Ils deviennent amants.
C’est maintenant Sorge qui raconte. Ils sont chez Betty qui l’emporte dans une scène de sexe longuement décrite. Il est le Chat, elle est la Souris, ils portent les masques de Tom et Jerry. La scène est dynamique et perverse. Ici, on ne dira ni pourquoi, ni comment elle se termine mal pour Betty.
Ce livre aurait pu être un essai sur la société digitale qui réduit peu à peu la place et la force de la critique littéraire dans les médias du monde d’avant, sur comment la critique devient du commentaire et parfois du bavardage, sur les abus que permet Internet. Frédéric Ciriez traite ces questions d’une façon ironique, décalée, avec des personnages complexes et opposés. Lui est un critique reconnu, elle est encore débutante. Lui est plutôt vieux, elle 22 ans. Lui est quasiment salarié, elle compte vivre des revenus publicitaires de sa chaîne. L’affaire se termine au tribunal, dans un procès dont Frédéric Ciriez nos livre les pièces : PV de police et d’huissier, témoignages, expertises… Il ne nous dit pas qui manipule qui, ni où est la vérité ? D’ailleurs, y a-t-il une vérité ? L’auteur nous laisse devant un choix à faire qui ne sera en rien objectif.
Frédéric Ciriez ne recule devant rien pour retenir son lecteur avec une écriture baroque, une succession d’exercices de style, des idées drôlatiques, des descriptions ironiques. C’est un grand inventeur ! Son écriture inimitable est d’une grande précision, il connaît le jargon de la presse et il dote ses personnages d’une existence qui pourrait être actuelle .
Etudiant, Frédéric Ciriez a été satiriste au journal « La Presse d’Armor ». Ça se voit et ça donne un roman plaisant à lire, un agréable moment de lecture.

Éditions Gallmeister

23,20
Conseillé par (Libraire)
19 janvier 2018

Tout au long du roman, c’est Josh, le narrateur, qui est le personnage central, toujours présent, toujours fidèle et attaché à sa famille et au chantier. Il préfère réparer les bateaux plutôt que les construire, et répondre aux nombreuses demandes de services de ses voisins peu soucieux de la santé financière de son chantier. Josh ne fera pas fortune, ni dans la vie courante, ni en amour.
Si Ruby fascine par son don, par sa capacité à mener les voiliers même quand il n’y a pas de vent, c’est l’humble fidélité de Josh que j’ai apprécié. C’est un loser attachant, patient, mélancolique qui ne se laisse pas désespérer. C’est autour de lui que se reforme la famille après la décision de Ruby de s’éloigner du monde de la voile.
J’ai aimé l’écriture de Jim Lynch, son ironie [« les plaisanciers sont des pigeons… »], sa façon de nous introduire dans la vie de cette famille, de nous isoler dans le monde de la voile, de la mer et du vent, de nous emprisonner dans la passion de ces gens.

Oui, on peut trouver la voile trop présente, mais cette famille est originale, ses rêves sont beaux, son destin est dramatique, est c’est ce qui rend le lecteur avide de connaître la fin de l’histoire.

Conseillé par (Libraire)
3 janvier 2018

Très inquiétant...

On peut aimer se faire peur et pour cela, il y a de nombreux et excellents thrillers. Et il y a "Dans la Google du loup" qui nous raconte -en partie sous forme de fiction- le monde que Google nous prépare, en appuyant son récit par une documentation citée en bibliographie.
Nous savons tous ce que Google fait de notre vie privée quand il scanne la correspondance qui transite par son service de messagerie. Peut-être ignorons-nous sa philosophie, comment il conçoit la vie privée et comment il justifie la surveillance de chacun.
Christine Kerdellant démontre, preuves à l'appui, que Google exerce un pouvoir totalitaire sur ses concurrents et sur la population humaine, sur les orientations de notre société, sur l'avenir de l'humanité.
Par exemple, si on ne peut voir que des avantages à la voiture autonome qui fera disparaître la quasi-totalité des accidents de circulation, il faut avoir conscience que celui qui en détiendra le contrôle via l'informatique, aura le pouvoir sur nos déplacements, la connaissance de nos trajets et, in fine, saura beaucoup de notre vie privée. Il pourra même nous interdire tout déplacement...
Au début de l'ouvrage , on peut trouver plaisant de critiquer Google et sa capacité à prévoir nos comportements, nos choix consuméristes, mais plus on avance dans la lecture, plus on sera choqué, scandalisé, horrifié par la puissance de ce géant du web.
Google est favorable au transhumanisme, à l'homme augmenté jusqu'à ce qu'il devienne immortel, sans se poser la question des conséquences que cela aurait sur une immense partie de l'humanité qui n'aura pas les moyens de se faire réparer ou augmenter
Google possède une connaissance et une pratique avancée de l'intelligence artificielle. Mais il n'a aucune réflexion éthique qui pourrait prévenir du danger d'une IA forte, accédant à sa propre conscience, qui finirait par trouver l'homme inutile et gênant et provoquerait sa disparition.
Le livre fermé, nous ne pourrons que convenir avec Bruce Schneier que "nous sommes devenus les serfs des géants du web", et particulièrement de Google.
Es-il encore temps de le contrôler ?