Jean T.

https://lecturesdereves.wordpress.com/

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Conseillé par (Libraire)
14 octobre 2018

Dans son septième roman, Aurélie Filippetti, ancienne ministre de la Culture, livre une histoire d’amour et nous plonge dans les coulisses du pouvoir politique.
Elle est de gauche, vient de l’Est, du monde de l’industrie, des mines et des aciéries. Lui est de droite, de l’Ouest de la France, de l’aristocratie, "il est à l’aise partout". Il n’est pas difficile de reconnaître le couple qu’a formé Aurélie Filippetti avec un chiraquien qui fut ministre de Raffarin. Le couple vit une relation clandestine, au hasard des moments libres de leurs agendas. A l’Assemblée, ils ne sont pas sur les mêmes bancs, veillent à ne pas de faire découvrir, limitent leur relation à quelques clins clins d’œil. Lui veille sur elle, veut son bien, qu’elle assure son avenir en politique. Leurs idéaux politiques sont proches même s'ils "ne voient pas la réalité de la même façon". Elle ne comprend pas que cet homme ne soit pas de gauche. Puis le député devient ministre et certains de ses propos et prises de position deviennent contraires à ses idéaux, qu’elle connaît et partage. C’est l’éloignement, la désillusion. Jusqu’à ce que la déception l’éloigne de la politique et qu’il s’engage dans une association humanitaire.
Lorsque la campagne présidentielle se met en place, elle s’y engage avec l’ambition de faire partie du futur gouvernement. Elle devient ministre de la Culture. Elle assume mal cette fonction, se sent mal comprise, ne comprend ni n’admet comment fonctionne le pouvoir, se lasse de se trouver éloigné de ses électeurs, de sa région. Elle démissionne.
Le récit de ces dix années de vie politique est bien un roman,une fiction, pas un essai, ce qui permet une description assez fine de la réalité politique et sociale de cette période. D’ailleurs, aucun nom n’est cité, ce qui en fait une description du pouvoir et de ses dérives égoïstes que l’on pourra transposer. On reconnaîtra aisément la fin du sarkozysme, la présidence de François Hollande qu’elle nomme "le Prince". Ce n’est pas un récit réjouissant et croustillant, le portrait qu’elle fait de François Hollande est terrible, de son cynisme quand il rejette une haut fonctionnaire au prétexte que "Bof, c’est une militante", de sa fascination pour les riches, "les Inégaux", de son envie de copiner avec les journalistes. Sa description de la politique concrète n’est pas tendre, "Elle observait avec stupéfaction le mensonge s’installer dans les relations entre les uns et les autres", elle remarque que "La Cour résistait à toutes les alternances et triomphait de tout", "la condescendance des maîtres de toujours" qui imposent leur autorité, les ruses et la suffisance des ambitieux, la corruption insidieuse de l’argent, les attaques insultantes dans la presse et sur les réseaux sociaux… Elle va de déceptions en déceptions et, à la fin, quitte le pouvoir. C’est donc un adieu à la politique qu’on aura lu.
J’avais beaucoup aimé "Les derniers jours de la classe ouvrière" (Stock, 2003) où elle parlait déjà de désillusions politiques. "Les idéaux" sont d’un autre ordre. Avec une écriture travaillée et fouillée - malgré quelques figures de styles trop ampoulées - elle nous donne un roman puissant – parfois un peu lourd à lire -sur les coulisses du pouvoir politique, sur un monde rude et même violent qui devient décevant quand les intérêts particuliers l’emportent sur les idéaux. Encore plus décevant pour elle, quand on lit son attachement à la fonction de députée qui représente le peuple à l’Assemblée et qu’elle voit la realpolitik à l’œuvre. Une immense déception pour cette femme fidèle aux idéaux de la Révolution, "Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit".
Sans doute devra-ton admettre qu’Aurélie Filippetti en tant que femme politique s’est fait des illusions, a fait preuve de naïveté et qu’on peut mettre à son honneur de s’interroger sur l’échec de la gauche auprès des classes populaires.

Un texte venu du futur

Éditions Les Liens qui libèrent

Conseillé par (Libraire)
13 octobre 2018

Dans un essai de science-fiction suivi d’une interview des auteurs et d’une postface, Naomi Oreskes, historienne des sciences et professeur à l’université d’Harvard et Erik Conway, historien des sciences à la Nasa, se situent en 2393 pour relater les causes de l’effondrement de la civilisation occidentale provoqué par le changement climatique.
On est donc en 2393, un historien chinois consulte d’abondantes archives pour essayer de comprendre pourquoi, vers le milieu du XXIe siècle, la civilisation occidentale s’est effondrée dans une catastrophe climatique sans précédent dans l’histoire de l’humanité, et pourtant annoncée. La production non maîtrisée de gaz à effet de serre a provoqué une élévation de la température de la planète. Sont apparus des énormes sécheresses, des années sans hiver, l’été interminable, des ouragans de plus en plus fréquents et violents, la fonte des glaces, des famines, des épidémies, de massives immigrations, des disparitions d’espèces animales, la mort de millions d’humains.
Les auteurs situent cet effondrement pendant "la période de la pénombre (1988-2093)" au cours de laquelle prédominaient la croyance en des solutions technologiques qui nous sauveraient du réchauffement, l’impuissance des gouvernements à résister aux pressions des industriels et des financiers qui contestaient les conclusions des scientifiques et à imposer des décisions autoritaires, l’idéologie néolibérale qui refusait d’admettre la notion de "coûts externes" et qui ne prévoyait donc aucun mécanisme de prévention des dommages à venir. Les néolibéraux, qui se pensaient comme les seuls capables de préserver la liberté individuelle, furent paradoxalement responsables d’une diminution drastique des libertés. De même, ils refusaient d’envisager "l’échec du marché", estimant que la "main invisible" régulait toute l’activité économique. Ils soulignent aussi notre passivité intellectuelle, notre pensée scientifique, économique et politique figée, notre croyance en la capacité de l’humain à s’adapter à toute situation. Ils pointent aussi le manque de courage de la presse pour arrêter de rapporter des propos non vérifiés par la science.

Naomi Oreskes et Erik Conway sont partis des scénarios les plus pessimistes du GIEC. Depuis la publication de l’ouvrage, cinq années se sont écoulées et on peut voir que certaines prévisions du GIEC sont dépassées. Il n’est donc plus exclu que le réchauffement dépasse 6 degrés, entraînant une élévation du niveau des mers de plus de six mètres, provoquant une exode de plus de 1,5 milliard d’humains.
Dans l’interview qui suit cette "hard SF", les auteurs signalent que c’est la Chine qui s’est mieux préservée, grâce à son régime autoritaire, n’hésitant pas à prendre d’immenses décisions impopulaires, à déplacer des millions de personnes et à sauver ses populations. Leur essai sonne alors comme un avertissement : si vous voulez préserver la démocratie, prenez garde à contrer le réchauffement climatique.
Bien qu’extrêmement documenté, l’essai d’une soixantaine de pages est d’une lecture facile. Un lexique définit l’Optimisme adaptatif humain, le Complexe de la combustion du carbone, le Choc terminal et quelques autres termes importants. Une postface fait le point sur l’actualité du sujet en 2013, alors qu’Obama est encore président des États-Unis et qu’on est à quelques mois de l’ouverture de la COP 21.
Une lecture stimulante, provocante, importante.

"Nous étions parfaitement informés des catastrophes à venir, et nous n’avons rien fait".

Conseillé par (Libraire)
2 octobre 2018

Claude et Dominique se sont rencontrés à Brest. Il fait ce qu’il faut pour séduire Dominique. Ils se marient très vite en souhaitant un enfant qui vient tardivement, au bout de quatre années. L’homme charmant qu’était Claude devient très désagréable et déteste l’enfant dès sa naissance. Épicène, à cinq ans, sait déjà qu’elle n’aime pas son père. 0 onze ans, il lui fait perdre sa meilleure amie, Samia. Elle découvre alors qu’elle hait son père et qu’elle va devoir se construire sans son affection. La même année, Claude pousse Dominique à se lier avec Mme de Cléry, une riche bourgeoise, en se servant de ses filles. Claude a une bonne raison de chercher à se lier au couple des Cléry.
Quand on la découvre, on découvre aussi la face cachée de Claude et les raisons de sa détestation…

Chaque année, je suis curieux de savoir ce qu’Amélie Nothomb va inventer pour son nouveau roman. Après la jalousie d’une mère pour sa fille (Frappe-toi le coeur), voici la haine d’une fille pour son père qui, reconnaissons-le, la mérite bien. Comme dans ses autres romans, celui qui permet au personnage central d’exister est sérieusement tordu. Le roman a tout d’un conte, avec le monstre, la douce jeune fille (pas si douce, en fait), la mère naïve, les grands-parents adorés et adorables. Mais l’écriture est précise et révèle une connaissance indéniable des ressorts des êtres humains. L’histoire est plutôt complexe, caustique, décalée. Pour notre plus grand plaisir...
Comme dans les contes, même cruels, il y a une morale : "La personne qui aime est toujours la plus forte".

20,00
Conseillé par (Libraire)
28 septembre 2018

Helen et Frank se rencontrent sur un trottoir de Londres. Ils ne se sont pas vus depuis 23 ans. Enfants de diplomates, ils se sont connus en 1950 à Rome, au cours d’un dîner de leurs familles. Helen a été scotchée par la question de Frank Appledore : "Toi aussi, tu détestes ta famille ?" À dix-huit ans, à l’initiative d’Helen, ils partent vivre à Amsterdam, dans la maison de sa mère. Il sont partis pour échapper à l’influence toxiques de leurs familles et pour étudier. Helen surtout , grosse travailleuse ayant l’ambition de venir une critique littéraire reconnue. Frank, plus dilettante, s’est mis à la peinture. Il se lie avec Anna, une galériste, très belle femme ayant un réseau de relations qui va l’aider se faire connaître et à devenir un immense artiste. Au bout de quelques années, ils se séparent. Helen se marie et part à Boston. Elle divorce et revient vivre dans la maison de Frank, en Normandie, quand elle apprend qu’il a un fils. Plus tard, en 1955, un événement tragique met fin à leur relation jusqu’à cette rencontre à Londres.
Sur le trottoir, Helen intime à Frank de se taire et de l’écouter. Commence alors un long monologue où la vieille dame raconte comment elle a soutenu et aidé Frank Appledore à devenir un peintre de talent. Comment elle l’a pris en charge, lui, l’insouciant qui ne s’est jamais intéressé à la vie matérielle et aux autres. Pas même à ses maîtresses qu’il a si facilement séduites et abandonnées dans un même mouvement. Comment la femme qui a l’idéal d’être une femme libre , et qui a fait ce qu’il faut pour, s’est piégée dans cette amitié au service de l’artiste peintre. Comment elle lui a voué une vraie dévotion, se mentant à elle-même en tenant le rôle que Frank lui a assigné du fait de son incompétence à prendre en charge sa vie concrète. Comment elle a fermé les yeux pour ne pas voir la réalité de la nature de leur relation et de la nature de l’intérêt que Frank lui a porté.
Julia Kerninon écrit d’amples phrases, parsemées de digressions, de références aux contes de l’enfance, à la guerre de Troie, à des auteurs, et avoue dans son écriture sa fascination pour la peinture. Elle remonte le temps de leur relation sans rien oublier ni omettre, revient sur les lieux de leur art et de leurs cohabitations, sur le passé familial. Elle raconte ce qu’a vécu Helen, ses sentiments, ses espoirs, son abnégation. Elle met à jour tout ce que sait Helen de leur vie et que Frank - où les hommes - ne sait pas voir. Julia Kerninon est une fine et redoutable observatrice des relations humaines.
Un très beau roman qui m’a subjugué, que j’aurais lu d’une traite si j’en avais eu le temps (le récit d’Helen dure six heures, tout de même ...)

Conseillé par (Libraire)
26 septembre 2018

Cédric Gras est un grand voyageur. Dans sa jeunesse, il a parcouru le monde, en allant vers l’Est, vers l’Eurasie, le Tibet, la Mongolie, les Andes… Étudiant en géographie, il s’ennuyait, alors il est parti, non pas "voyager", mais habiter ailleurs, s’incruster dans un lieu, apprendre la langue, rencontrer les gens. Car au 21e siècle, il n’y a plus rien à explorer, aucune terre inconnue. Alors, qu’est-ce que voyager ? Où aller ? Dans des endroits où les autres ne vont pas, en évitant "les incontournables, les tropismes communs, Ushuaïa, la vallée du Khumbu". En faisant le pas de côté, aller "dans le blanc des cartes touristiques", là où, selon les agences de tourisme, il n’y a rien à voir, où on vous demande pourquoi vous n’êtes "pas plutôt à la ville voisine", ce que vous faites là, où il n’y a rien à faire, rien à photographier, rien à enregistrer. Le voyage d’aujourd’hui, c’est "Lire le monde, partout, quel que soit ce qu’il nous raconte, observer les yeux grands ouverts".
Ce récit de voyage et les réflexions qui l’accompagnent sont le récit d’un vagabond, de quelqu’un qui "aime la route". Il est servi par une écriture raffinée et il faut le lire avec attention. C’est le récit d’un voyageur qui marche dans le présent, pas dans l’histoire des pays, des personnages célèbres ou des monuments, ni dans l’espoir de découvrir de l’inconnu. Cédric Gras voyage pour voyager, en souhaitant "avoir plus de motifs d’être sur la route. Car ce qu’on aime avant tout, c’est précisément la route".
Ce récit plaira grandement aux amoureux du voyages, aux globe-trotters, aux randonneurs, aux marcheurs des longues routes, et à bien d’autres qui veulent voir le monde...