Jean T.

https://lecturesdereves.wordpress.com/

https://lecturesdereves.wordpress.com/

Liana Levi

20,00
Conseillé par (Libraire)
30 mars 2017

Paul Kubler est revenu à Rouen, la ville de son enfance, muté dans un commissariat. Le policier s'est fait jeter du Quai des Orfèvres pour avoir accusé quelques collègues d'en croquer. A Rouen, il lui semble qu'il va s'ennuyer. D'ailleurs, affecté à la surveillante lointaine d'une manifestation des ouvriers d'EuroGaz dont l'usine est menacée de de fermeture, au lieu de rester tranquillement assis dans voiture, il s'en va taquiner les occupants d'une grosse voiture noire qui, selon lui, n'a rien à faire là. Le ton est donné. Quand l'eau du robinet va couler rose, puis vert fluo, Kugler se met sur la trace du pollueur des sources du Moulin et ne va rien lâcher. Même si la coloration n'est pas toxique, il ne faut pas que les rouennais paniquent…
Alors Paul Kugler enquête, se documente sur les mystères de la craie, le karst, les bétoires, la DUP. Il insiste auprès des institutions, BRGM, service des eaux, cabinet d'études GéoWater, l'ARS, Agende de l'eau... Il embête le directeur d'EuroGaz. Il s'informe auprès d'un ancien camarade de lycée. Il va faire de la spéléo sous une fausse identité avec Melody, la princesse du karst, une jeune hydrogéologue douée. Il course Gangsta au travers des jardins et se laisse surprendre, ce qui lui vaut gros coquard et entorse cervicale, et aussi de retrouver l'estime de ses collègues.
On lui adjoint un collègue qui sait fouiner et trouver l'information. Avec lui, il remonte la piste d'une magouille et d'une série de pressions pour une histoire de déclassement de terrains à construire. Il lui faut faire vite car l'affaire prend une sale tournure.

Le personnage de Paul Kluger est celui d'un policier qui consacre toute son énergie à son métier, un homme pugnace qui sait qu'il est un bon flic et qui le montre.
Ce qui est bien, avec David Humbert, c'est qu'il fait son héros partager sa documentation pour qu'on comprenne bien les enjeux de ce qui se passe. A l'occasion, il nous fait un peu d'histoire de la ville et des alentours. Cela donne un roman intéressant à la progression claire, avec un suspense savamment entretenu. Peut-être parce que Kluger se déplace à moto, le style est vif ? Le roman est nécessairement technique, le sous-sol de la Haute-Normandie étant complexe, mais le propos est clair comme de l'eau de source, la malhonnêteté est insupportable et l'eau est un bien commun à protéger, une chose sérieuse.

Conseillé par (Libraire)
30 mars 2017

Grisée par la vitesse de sa voiture de course et décidée à gagner, Sarah oublie le danger et manque un virage. Son copilote est tuée. Elle est gravement blessée ; Plusieurs mois après, paraplégique, elle intègre un établissement de soins et de réadaptation. Elle y rejoint des femmes et des hommes handicapés, défigurés, qui ne tiennent plus debout. Un autre monde, une "casse" pense-t-elle.
Elle qui était une battante, une sportive de haut niveau doit se résigner à la vie dans un fauteuil. Elle se découvre telle "qu'un assemblage de pièces mécaniques", un ensemble de membres, un corps qu'on déshabille pour le nettoyer, que l'on manipule, que l'on fait travailler pour le réparer. Un corps qui souffre.
Elle est installée dans une chambre occupée par une autre femme, très belle, opérée d'un cancer du sein, dépressive. Cette femme qui semble fragile et étrange, s'échappe dans la peinture, y puise une force, une raison de vivre. D'abord étonnée, puis fascinée, Sarah s'attache à elle, noue une complicité chaleureuse avec Clémence. Elle découvre l'univers médical. Il y a le médecin que tout le monde appelle docteur Lune, qui anime une séance de méditation de pleine conscience le matin. Détestera-t-elle Luc, le kiné qui l'oblige à faire sans cesse des efforts difficiles pour qu'elle se muscle et retrouve l'usage de ses membres, ce qu'il croit possible ? Et l'infirmière un peu bougon qui fait ses toilettes ? Elle apprécie de faire connaissance d'Alexandre, l'aide-soignant à qui elle fait confiance et avec qui elle fugue une journée. Elle partage sa vie avec les patients, Louane, l'adolescente hyperactive, aux propos directs, jamais en repos. Samir, le boxeur qui a fait un AVC qui l’a laissé paralysé du côté droit. Jordan, l'accidenté de la route. Un vieil homme, Mamadou Diarra dit "le Fou" qui tient des propos semblant incohérents. Hélène Delambre, une femme brûlée au visage, défigurée.
Dans cet établissement perdu dans les monts d'Auvergne, les rumeurs occupent parfois les temps libres. Comme celle qui dit que la chambre 34, leur chambre, est maudite, qu'on y meurt et que le corps disparaît sans qu'on ne sache ce qui s'est passé. Le personnel dément cela, mais un matin, Clémence a disparu. Qu'est-ce qui attend Sarah ?

Dans ce centre, l'imagination de Sarah est exacerbée. Un peu paranoïaque, elle imagine des choses cachées. Puis la fréquentation de Clémence et la peinture qu'elle voit naître sous ses yeux l'ouvrent à d'autres réalités, à de nouveaux mondes, la renoue à son histoire. Plus tard, quand elle connaîtra l'enfer, la douleur, la solitude, cette capacité à voir autre chose, à "s'échapper dans sa mémoire" lui permettra de continuer à vivre.
Elsa Marpeau décrit un petit monde très vivant dans un cadre froid. Entre les personnes, il se crée du respect, de l'empathie, du lien. Pourtant, le centre, c'est des piscines, des machines pour le travail musculaire, des tables d'auscultation ou de massage, des instruments de cryothérapie, de fangothérapie, d'électrothérapie. Elle décrit des corps éclopés, paralytiques, amputés, la douleur, la souffrance. Elle pourrait sans doute nommer chaque os, chaque muscle. Sa description du centre n'est en rien édulcorée.
Cette capacité à décrire la froideur du centre égare le lecteur qui imagine que toute l'histoire va se dérouler dans le centre. Puis, quand Sarah fugue une journée avec Alexandre, il peut imaginer que l'histoire va se poursuivre à l'extérieur du centre. Mais non, c'est une parenthèse, il s'égare. Quand Sarah revient au centre, il se prend à admettre que ça va être son tour de disparaître, que ça va être terrible.
Difficile cependant d'imaginer ce qu'elle va vivre, dans quelle détresse elle va être plongée, quel va être son désespoir, quelle inhumanité noire elle va croiser… Le roman dur et froid devient alors vraiment angoissant parce qu'Elsa Marpeau a pris soin de nous faire nous attacher à Sarah et qu'on ne peut savoir si elle remontera au jour.

Comment les citoyens changent le monde (Nouvelle édition augmentée)

Éditions Les Liens qui libèrent

Conseillé par (Libraire)
25 mars 2017

Comment quitter -ou du moins s'éloigner d'une société libérale basée sur l'économie de marché dérégulée, sur la croissance sans limites et l'exploitation de la nature, sur la force de la finance, sur l'individualiste et le consumérisme ? Par l'action politique, bien sûr. Mais aussi par une action citoyenne pragmatique qui change les choses autour de soi, avec l'énergie que procure la certitude qu'on peut ainsi changer le monde.
Pour cette deuxième édition, Bénédicte Manier a continué de parcourir plusieurs pays pour découvrir et décrire des initiatives de la société civile, des initiatives citoyennes améliorant le quotidien des personnes les plus proches d'un quartier, d'un village, d'une ville et même de milliers de personnes
Face à l'impuissance des politiques et des institutions à trouver des solutions à des problèmes très concrets, des habitants décident de les régler eux-mêmes, en se réappropriant l'eau qui leur manque, en pratiquant une agriculture urbaine, en inventant de nouveau modes de vie : consommer local, covoiturer, rejoindre le mouvement slow, créer des coopératives de consommateurs, des épiceries solidaires, des Amap, de l'auto-construction. Ils mettent en commun leurs connaissances : c'est le mouvement OpenSource, Wikipédia , la cartographie avec OpenStreetMap, les logiciels libres, le label Creative Commons. Ils se lancent dans la finance éthique, l'épargne solidaire, les banques coopératives, les mutuelles, cherchent des modes de gouvernances locales qui laissent la place aux avis des citoyens. Des collectifs investissent dans la production d'énergies renouvelables, solaire, éolien ou par méthanisation.
Dans ce monde en crise, on voit bien que certains perçoivent plus que d'autres que la planète est en crise, qu'il faut laisser là où elles sont les énergies fossiles, et même que l'humanité peut disparaître. Ils décident de gérer eux-mêmes leur situation en choisissant la coopération, la sobriété, l'économie du partage et du don, une réelle solidarité, le respect de l'environnement.
Dans une courte postface, Patrick Viveret donne son analyse du modèle actuel de développement et met en avant quelques conditions pour que ces mutations atteigent une masse critique
On sera surpris par l'ampleur du phénomène en Inde, en Afrique, aux USA, en Amérique du sud, ce qui tend à prouver que cet autre monde, loin d'être une utopie, est déjà en marche.
On pourra regretter que Bénédicte Manier ne soit que rarement critique sur la cohérence et la validité à long terme de quelques actions et projets, qu'elle ne pose pas la question de la limite, qu'elle ne s'inquiète pas de puissance du monde néolibéral et financier qui ne manquera pas de réagir avec brutalité si leurs positions étaient attaquées.
Mais ce livre est une grande enquête dûment documentée, une lecture vivifiante et qui aère l'esprit, qui donne espoir et envie de rejoindre ces tranquilles révolutionnaires.

Conseillé par (Libraire)
22 mars 2017

Gilda, quarante ans, tombe raide amoureuse. Elle prétend que c'est enfin le grand amour, le seul, le vrai, qu'elle a rencontré l'homme parfait. Dans ce domaine de l'amour, elle a pourtant connu de beaux échecs, qui ne suffisent pas à la prévenir des variations de l'amour. Elle n'écoute ni ses copines qui tentent de la tempérer, ni cette Lady, sorte de double d'elle-même, qui cherche à ralentir sa fougue. L'Amoureuse se décide même à écrire un traité sur l'amour qui serait une somme de conseils inspirés de son idylle…
Le roman est dans un style rythmé, enlevé, ironique. Le lecteur se doute que son histoire va foirer alors qu'elle espère le plaisir de l'amour envers et contre tout, ce qui est plutôt plaisant.
C'est le bon roman à lire pour ôter le gris d'un jour de pluie.

Conseillé par (Libraire)
14 mars 2017

La galerie de personnages de ce gros roman est importante et imposante. À elle seule, elle laisse imaginer que le roman n'est pas à laisser passer...
- Ranko, alias Le Gecko, est un grimpeur de grande classe capable d'escalader les façades les plus lisses pour aller faire des cambriolages sans laisser aucune trace. Il est serbe, meurtri par la guerre. C'est un homme qui aime le beau, un solitaire, un taiseux, un homme fidèle.
- Stephan Suarez est le commandant du groupe casse de la Brigade de répression du banditisme, un flic fasciné par Le Gecko, capable de consacrer toute sa vie à le pister.K Capable, aussi, d'offrir à la femme qu'il aime, un voyage érotique dans un hélicoptère en vol simulé.
- Astrakan est le chef de clan, oncle de Ranko. Il sait commander et rester dans l'ombre. Très généreux quand il est amoureux, et très brutal avec ceux qui s'écartent de sa ligne.
- Ylana est une très belle femme, une ancienne patineuse artistique. Maîtresse soumise d'un riche saoudien, elle s'en libérera et deviendra le grand amour d'Astrakan.
- Enki Bilal, l'artiste dessinateur de bandes dessinées, a inventé le chessboxing dans "Froid équateur". Yalana aime beaucoup son oeuvre.
- Des hommes de main redoutables à ne pas croiser le soir : BrainMan, Miko, Redi. Des comparses rusés comme la Sangsue.
- Un blessé grave, Carmel Gheda, qui fait partie de l'histoire du couple de Suarez et Tamara. Et un médecin Denis Safran, qui travaille avec la BRB et les Pompiers de Paris.
- Une belle équipe de policiers, et leur mascotte, un gris du Gabon.
Et tant d'autres, une grosse cinquantaine...
Pour ce qui est des événements, il y a aussi ce qu'il faut :
D'abord une attaque éclair à l'entrée de Paris, d'un riche saoudien et de ses bijoux qui disparaissent complètement. Un chauffeur sera grièvement blessé et une femme disparaît. L'enquête de Suarez et de son groupe démarre lentement,les indices sont rares. Puis Ylana est repérée comme ayant été dans le convoi. Les filatures produisent peu à peu des indices.
Il y a des règlements de comptes, une promenade en forêt spéciale, impressionnante et effrayante.
Il y a les promenades du Gecko sur les toits de Paris, mais pas que... Lorsqu'il va cacher son butin au haut du piler d'un pont, il est pris en filature par Myriam et Greg qui, ahuris, le voient faire son jogging sur une barrière de sécurité.
Il y a ce combat de chessboxing (un sport hybridant boxe et échecs) que propose Astrakan à Ranko en lui offrant un magnifique jeu d'échecs, afin de trouve l'adresse de l'atelier d'Enki Bilal pour y aller voler quelques oeuvres d'art. Ranko s'entraîne avec Cédric, un coach qui lui apprend à se maîtriser pour récolter des informations et pouvoir cambrioler le dessinateur.
Il y a encore un autre cambriolage à la demande de son fourgue, avec une belle escalade, très risquée.
Tout au long de roman très noir, la question se pose de savoir si Ranko chutera, au propre ou au figuré, si Suarez réussira à le prendre en flagrant délit, si Ylana occupera son esprit avec assez de densité pour qu'il perde ses moyens...

Le roman est d'une grande réalité. Ingrid Astier s'est longuement documentée, a rencontré des gens qui ont inspiré ses personnages, s'est immergée dans le quotidien de la BRB pour mieux nous plonger dans un réel retravaillé par son écriture et son imaginaire. Le lecteur évolue dans un Paris bien réel, sur des toits où l'on croise le freerunner Simon Nogueira, dans l'atelier de Bilal, passe près de l'organiste Jean Guillou... Le lecteur est toujours sur le fil entre fantasme et réalité, entre ciel et terre, entre violence et douceur, entre haine et amour, entre dureté et tendresse, entre vie ordinaire et actes de courage, entre liberté et pesanteur. C'est un roman de l'équilibre et une géographie des sentiments, de l'amour surtout.
On ne parlera pas d'intrigue parce qu'il y en a plusieurs. En fait, ce roman n'est pas un polar de plus, c'est une histoire de violence, de guerre, d'amour, un combat continuel que figure le chessboxing, un combat qui offre à la réalité de s'ouvrir au rêve, à la contemplation, à la compréhension, à la liberté. Tout ceci dans une superbe écriture et un suspense qui ne cesse pas.
Je le redis, ne passez pas à côté de ce roman...