L'Autre Monde L.

H. Guay de Bellissen

Anne Carrière

17,50
Conseillé par (Libraire)
16 avril 2016

Autopsie d'un coeur

Avez-vous déjà observé un cœur anatomique ? Un cœur, dans l'imaginaire, ce sont deux courbes qui se rejoignent, c'est de la rondeur, du rose et de l'amour. Mais le cœur, l'organe, est beaucoup plus complexe que ça : c'est du sang, des fluides, des membranes, ce n'est plus un sentiment, c'est la condition de l'existence, ce sont deux ventricules et deux chambres, que nous allons pouvoir observer de l'intérieur.
Mark David Chapman et John Hinckley, à l'instar de cœurs schématiques simplistes, ne sont, dans l'imaginaire populaire, que deux types paumés qui ont tenté, avec plus ou moins de succès, de tuer des célébrités. Mais qui étaient-ils vraiment ? Héloïse Guay de Bellissen ne nous dresse pas leur profil psychologique, elle n'analyse pas leur geste ou le parcours qui les y a amenés, elle nous raconte simplement leur histoire, sans jugement, mais avec beaucoup d'humanité. Elle ne nous demande pas de les comprendre mais seulement de les voir comme des êtres humains, avec leurs failles, comme un souffle au cœur de la société.
Héloïse Guay de Bellissen nous offre également une vision de l'Amérique complètement originale : celle d'une mère. Une mère nourricière, une mère infanticide, imparfaite et qui reconnaît ses erreurs et le cinéma comme son art le plus accompli, c'est le rêve américain à son paroxysme. Cette Amérique personnifiée nous décrit, sans langue de bois, ses réussites, qui l'ont rendue orgueilleuse, et ses échecs ; parmi eux, ses « enfants », ceux qu'elle a désavoués, ceux qu'elle aime quand même, comme une mère.
Et au milieu de tout ça, porte-drapeau de cette Amérique paradoxale, il y a Holden Caufield, héros désenchanté de l'Attrappe-Coeur de Salinger. Abandonné par l'auteur qui l'a rendu célèbre, il est condamné à n'être qu'une histoire, sans parvenir à – symboliquement – tourner la page. Mark David Chapman et John Hinckley sont les enfants qui ont sauté de la falaise et que Holden n'a pas pu empêcher de tomber.

24,90
Conseillé par (Libraire)
16 avril 2016

De l'art de ne pas tendre l'autre joue

Rencontre avec le héros, Peter Davidek, dont le patronyme est constamment écorché, comme une insulte, la première d'une longue liste qui va s’égrener tout au long de l'histoire. Autour de lui gravitent Noah Stein, qui sous ses airs provocateurs et une cicatrice physique impressionnante, cache une blessure qui, elle, ne se refermera jamais, Loreleï, qui va passer presque sans regret du statut de victime à celui de bourreau, sans soupçonner, sans comprendre sa propre motivation, et tous les autres, à la fois instigateurs et instruments du malheur, dans un environnement qui ressemble au Purgatoire, comble de l'ironie, pour un établissement catholique.
Toute ce microcosme évolue en effet à Saint Mike, Saint Michael the Archangel, alors qu'on ne peut guère imaginer un endroit plus abandonné des saints que celui-ci. Le bâtiment s'écroule, la pluie s'y infiltre, érodant les briques qui s'effritent doucement, laissant sur les murs des traces rouges comme le sang : un symbole qui prend tout son sens. La ruine physique du lycée n'est que le pâle reflet de sa dépravation morale, et les responsables, quand ils ne sont pas corrompus ou névrosés, sont vains. La violence traverse les couloirs comme une rumeur, elle est tellement acceptée qu'elle en paraît encouragée.
L'écriture est particulièrement puissante pour décrire cette atmosphère toxique. Ce ne sont pas seulement des phrases qui font mouche, ou de bons mots. Ce sont des passages entiers qui vous emmènent exactement là où l'auteur le voulait, sans que vous vous en rendiez compte, au moment où il est déjà trop tard, faisant de vous le complice involontaire de la cruauté de ses personnages. Chacun d'entre eux à sa part d'ombre, c'est le portrait – et le procès ? – de l'espèce humaine, pervertie et hypocrite par nature, qui doit lutter pour sa survie coûte que coûte. Même Davidek, qui espère qu'il est encore du côté des gentils, sait qu'au fond, il a perdu son innocence, et ne souhaite rien d'autre que de "voir sanctionnés [les gamins de St-Mike] comme ils le [méritent]". Il n'y a de salut, de rédemption pour personne.

Éditions de L'Olivier

18,50
Conseillé par (Libraire)
16 avril 2016

Souvenirs, souvenirs

Les Amygdales surprend immédiatement par son style très particulier. Cela vient peut-être de la manière dont le héros nomme ses proche, "le papa", "la maman", qui donne une impression de dédain. Mais on comprend vite que ce n'est pas seulement une fantaisie, que cela correspond exactement au mode de vie de cette famille dans laquelle évolue le personnage principal, cette famille que l'on pourrait presque qualifier d'aristocrate. Ils méprisent d'ailleurs le monde paysan, ont des domestiques, vivent quasiment dans un autre monde, voire dans une époque révolue. On est dans un univers de faux-semblants sous le couvert de la bienséance et du politiquement correct.
Gérard Lefort nous plonge dans des souvenirs d'enfance, et c'est le regard d'un enfant qui nous les décrit, mais ce sont des mots d'adulte qui jaillissent sur la papier. On n'est pas non plus dans une analyse des sentiments de l'enfant par l'adulte. C'est plutôt comme si l'histoire était racontée par un adulte enfermé dans le corps d'un enfant. C'est un enfant, mais il a déjà perdu la candeur, l'innocence de l'enfance. Le contraste est d'autant plus impressionnant que dans ce milieu où règne l'hypocrisie la plus totale, le héros est d'une franchise incroyable, même (et surtout) lorsqu'il s'agit de ses sentiments les moins nobles. Il est habité par des émotions assez violentes, notamment la haine. Il n'éprouve aucun remord, et son indifférence (en est-ce vraiment ?) est parfois troublante, dérangeante.
Mais le meilleur, ce sont les moments de pure invention qui ponctuent le récit. Le personnage est un solitaire. Étranger à sa propre fratrie, il n'a d'autre repli que son imagination foisonnante. C'est ainsi qu'il nous entraîne dans ses délires. Il réinvente l'Histoire, joue tous les personnages, vit des aventures absurdes, passe d'un camp à l'autre, de Marie-Antoinette sur l'échafaud, qu'il idolâtre presque pour ensuite la haïr, au naufrage du Titanic (encore mieux que le film !), en passant par une guerre imaginaire où il est à la fois le blessé et le chirurgien qui le charcute : c'est comme si on y était !

Gallimard Jeunesse

15,90
Conseillé par (Libraire)
16 avril 2016

The girl next door

Tout commence par une des scènes les plus jubilatoires qu'il vous sera jamais donné de lire : une expédition punitive. Quentin est obsédé depuis toujours par sa voisine, la belle Margo. Amis d'enfance, ils se sont peu à peu éloignés l'un de l'autre, jusqu'au soir où elle s'invite à la fenêtre du jeune homme pour lui proposer une balade pas tout à fait innocente. Et les voilà partis faire le tour de la ville pour venger Margo d'un parjure, et ce de la plus drôle des façons. Un vrai défouloir pour les deux personnages et pour le lecteur qui se retrouve embarqués avec eux : c'est comme si on y était ! Mais dès le lendemain, Margo disparaît. Quentin, qui pense avoir entr'aperçu cette face cachée promise par le titre du roman, décide de partir à sa recherche. Il entreprend alors un road trip qui penche parfois vers l'absurde, flanqué de ses deux meilleurs amis et d'une copine de la disparue.
Margo est la figure mystérieuse de ce roman, la raison autour de laquelle tourne toute cette histoire. Rapidement présentée comme la Queen Bee de son lycée, un cliché mélangeant la popularité et la superficialité, Margo, en disparaissant, se révèle plus profondément aux autres, et les révèle peu à peu à eux-mêmes. C'est un personnage très intéressant, et complexe, quoiqu'un peu triste. On aurait presque aimé creuser un peu plus de son côté. Mais si elle avait réellement été l'héroïne de l'histoire, le roman aurait sûrement été beaucoup moins amusant, il faut l'avouer.
Car oui, c'est vraiment un petit bijou d'humour. C'est une constante dans l’œuvre de John Green : ses histoires sont toujours marquées d'une touche de folie, même dans les moments les plus tragiques. Son style inimitable, piqué de délicieuses références (ne manquez surtout pas ses occurrences à propos des Feuilles d'Herbe de Walt Whitman), fait de ce roman un véritable page-turner, que vous ne pourrez plus lâcher une fois commencé.

Milan

Conseillé par (Libraire)
16 avril 2016

The dark night rises

Sous l'alias Lemony Snicket, l'auteur talentueux des Désastreuses aventures des orphelins Baudelaire reviens nous enchanter avec l'album Le Noir, assisté par Jon Klassen, auteur de Ce n'est pas mon chapeau, à l'illustration.
Les jeux de couleurs sont magnifiques, les contrastes entre le Noir effrayant, et la pâleur de la lumière artificielle produite par la lampe torche de Laszlo, ou le dégradé orangé du soleil couchant sont très réussis et fonctionnent à merveille. Le tout en restant dans un style simple et élégant dont Klassen nous avait déjà régalés avec ses précédents albums. Lemony Snicket quant à lui, nous offre un texte aux accents poétiques, et pourtant digne d'un récit à suspense. On reconnaît tout de suite sa plume unique, à la manière dont il crée, avec ses mots, une atmosphère inquiétante, notamment grâce à des phrases parfaitement rythmées et un vocabulaire choisi. On se croirait presque dans un roman gothique.
Il fait du Noir un personnage à part entière, un personnage qui nous donne des frissons. Laszlo va dire bonjour au Noir, en espérant que cela le tiendra éloigné de sa chambre à l'heure où la nuit vient. Mieux encore, un soir, le Noir vient dans la chambre de Laszlo, et lui parle. Mais la personnification tient surtout à la façon dont ce Noir est décrit, comme blottit dans sa tanière, et de la manière dont il s'étend peu à peu après le coucher du soleil, dans cette grande maison où Laszlo semble être seul face à la nuit grandissante...
On s'imagine d'ailleurs très bien en lecture à voix haute pour cet album, comme des enfants se racontant des histoires de fantôme à lumière d'une lampe torche... Mais il ne faut pas oublier que Le Noir est d'abord un album qui va dédramatiser la peur de l'obscurité en nous montrant qu'il est nécessaire. Le Noir n'est pas mauvais, et c'est grâce à lui que le jeune Laszlo comprend que, sans cette ombre qui envahit la maison chaque soir, nous ne saurions pas quand nous avons besoin de lumière.