Sortie parc, gare d'Ueno

Sophie Rèfle

Actes Sud

  • Conseillé par
    29 avril 2021

    Il n’est pas rare en se promenant dans le parc impérial d’Ueno de voir fleurir de grandes bâches bleues sur lesquelles les familles s’installent pour profiter de la beauté des cerisiers en fleurs.
    Mais pour les SDF japonais, ces mêmes bâches ne sont pas synonymes de douceur de vivre. Ils s’en servent pour se protéger de la pluie dans leurs cabanes faites de bric et de broc.
    Kazu était l’un de ceux qui vivaient dans le parc. Après une longue vie de labeur sur différents chantiers de la péninsule japonaise, il était retourné chez lui, près de Fukushima, pour découvrir que ses enfants avaient grandi sans lui et qu’il ne les connaissait pas. Restait sa femme, seule rocher auquel s’accrocher après une vie conjugale marquée par ses absences. Mais sa mort, suivant de peu celle de son fils, lui avait fait fuir sa région natale pour revenir à Tokyo et s’installer à Ueno.
    Ueno, cadeau de l’empereur aux habitants de la capitale, poumon vert de Tokyo. Ueno et son zoo, ses temples, ses musées. Ueno et ses laissés-pour-compte, souvent des provinciaux échoués ici après un drame familial, une perte d’emploi, un revers du destin.

    Souvenirs d’une vie d’un homme qui, comme il le dit lui-même, n’a pas eu de chance. Il a travaillé depuis son plus jeune âge, s’est sacrifié pour nourrir sa famille et finalement est passé à côté du bonheur.
    A travers le destin de Kazu, Miri Yû raconte tous ceux qui ont échoué dans le parc d’Ueno, toutes ces vies en marge qui se débrouillent avec des bouts de rien pour maintenir un semblant de vie. Invisibles au milieu des promeneurs, ils sont carrément effacés quand le parc est visité par un membre de la famille impériale. Commence alors la ‘’battue’’. Ils ont quelques jours pour démonter leurs abris, entreposer leurs maigres biens dans des lieux dédiés et se fondre dans l’anonymat d’une salle de cinéma ou d’un cybercafé. Cachons ces indésirables que l’empereur ne saurait voir !
    Douceur et mélancolie pour un livre fort qui réussit à mettre de la poésie dans la noirceur. Car il ne faut pas se fier à sa couverture rose bonbon. Sortie parc, gare d’Ueno est un récit triste et dur qui donne à voir la triste réalité des SDF au Japon. Souvent des campagnards ‘’montés’’ à Tokyo pour travailler et qui ont subi de plein fouet les crises financières successives, ils ont été rejoints par les réfugiés de Fukushima chassés de leur région par la catastrophe nucléaire de 2011. Une minorité invisible que l’on chasse au gré des visites des puissants.
    Un sujet intéressant et douloureux traité avec pudeur et poésie.