La geste du sixieme royaume

Adrien Tomas

Mnémos

  • Conseillé par
    19 octobre 2011

    Voilà une lecture fort plaisante, bien écrite, riche et complexe, qui m’a captivé de bout en bout. Faut-il préciser que c’est un premier roman ? Là, forcément je dois dire que j’ai été bluffée…

    La trame de base est classique, jugez plutôt : cinq personnages lambdas qui se sentent inévitablement aspirés vers la forêt légendaire du 6ème royaume, se retrouvent au cœur d’une guerre perpétuelle dont dépend le sort du monde… Pour faire court, il s’agit d’une épopée où deux clans antagonistes s’affrontent jusqu’à la mort. De la fantasy épique traditionnelle. Là où l’auteur innove et convainc, c’est par le traitement de son histoire. Plus qu’il ne rend hommage aux grands classiques de la Fantasy, Adrien Tomas redéfinit ses codes et en joue. Ainsi nous somme en face d’un immense échiquier où chaque personnage est un pion qu’il faut faire avancer. Il y a les blancs, il y a les noirs, mais comme dans la vraie vie, aucun joueur n’est finalement totalement bon ou mauvais, l’enjeu de cette guerre étant beaucoup plus complexe que ça. D’un côté, il y a le père et ses cinq hérauts de l’Arbre qui oeuvrent pour la nature et ses peuplades, de l’autre, il y a le Maître avec ses cinq hérauts de la Flamme qui défendent le progrès et l’industrialisation. Comme dans tout bon jeu de stratégie, il y a des règles qu’il faut respecter sous peine de représailles : chaque adversaire ne peut combattre que son opposé : Danseur contre Danseur, Prophète contre Prophète, Soldat contre Soldat, Bête contre Bête et Dame contre Dame. La partie se finit quand chaque champion est terrassé par l’autre camp. Ces règles strictes permettent de préserver l’équilibre du monde où se livre la même guerre depuis des générations. C’est ce que j’ai vraiment aimé dans ce roman, pas de grands méchants ni d’indécrottables gentils, chaque clan a ses torts et ses raisons, car s’il est vrai que le progrès est nécessaire, faut-il pour autant évoluer au détriment de l’écosystème ?

    Deuxième point où l’auteur détourne allégrement les codes pour mieux les démystifier, c’est dans la présence des peuples mythiques que l’on retrouve régulièrement en Fantasy. Il y a bien des sylphides, des loups-garous, des dryades, des dragons, des elfes, des nains et des trolls, mais ceux-ci ne ressemblent en rien en l’image que l’on a d’eux. Les sylphides s’apparentent plutôt à des insectes regroupés en ruches, les dragons sont des herbivores qui ne brillent pas par leur intelligence, les garous sont des hybrides de loup et d’humain figés entre les deux races, et les elfes sont des êtres simplets voire fous à cause d’une trop grande consanguinité (de quoi casser le mythe !). Bref, de quoi faire sourire et piquer suffisamment la curiosité du lecteur qui se doit d’oublier tous ses acquis en Fantasy.

    En ce qui concerne la forme du roman, l’histoire est découpée en plusieurs parties qui débutent chacune par le nom d’un personnage (comme dans le Trône de Fer de Martin ou Les psaumes d’Isaak de Scholes), les narrateurs sont donc multiples (pas moins d’une vingtaine de personnages, bien qu‘il y ait certains personnages plus récurrents). Les nombreuses voix peuvent perdre un peu le lecteur en cours de route, qui se doit de se souvenir de qui est qui, mais chaque personnage possède une personnalité bien assise, suffisamment travaillée pour pallier à ce petit travers. En dehors de nos héros, Adrien Tomas nous propose tout un panel de personnages secondaires assez éclectique. Outre Irian, l’assassin du maître qui reste probablement mon personnage préféré avec Llir, le barde du Père, il y a Aevar, l’ange métallique dont le concept même m’a fasciné, Shavalar, l’empereur perfide, la Chamane aux mixtures improbables, etc. De quoi trouver son personnage préféré !

    Enfin, Adrien Tomas enrobe tout ça dans un vaste monde cohérent, où chaque coup de poker est maîtrisé. Impossible de ne pas être captivé par tant d’éloquence, une touche d’humour apparaissant de-ci de-là pour notre (mon) plus grand bonheur. Les personnages ont de la faconde, et comme dit plus haut, l’auteur tourne habilement en dérision certains clichés de la fantasy. Des clins d’œil qui font sourire une fois bien immergé dans « La geste du 6ème royaume », un one-step prenant et bien construit qu’il serait dommage d’ignorer.